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vendredi 20 avril 2007

Au seuil de l’abattoir

Ils étaient arrivés là, au plus haut de l’éternité du monde. Ils s’étaient arrêtés, frappés de la stupeur blanche et la tentation fut grande de basculer dans le vide ou peut-être était-ce le plein, comment savoir ? L’homme et la femme immobiles se tenaient par la main et leurs sens alertés dévoraient en silence ces paysages démesurés. Ils croyaient voir les mêmes choses, entendre les mêmes sons, respirer le même air libre et sauvage. Et parce qu’ils étaient sûrs de vivre ensemble un moment de grâce, leurs doigts s’entremêlaient de tendresse infinie.

Mais tandis que l’homme contemplait subjugué les pétillements du soleil levant sur la neige frémissante, la femme se prenait à regretter que les rochers d’en face fussent orphelins de la caresse du soleil et du moelleux de la neige. Les rochers noirs faisaient tache cruelle sur son bonheur blanc.

- Ici on est à l’abri du vent … dit l’homme d’une voix feutrée. La femme alertée par ces paroles, leva le visage et le présenta au soleil, les yeux fermés. Pas un souffle de vent en effet à respirer en gourmandise. Mais elle, elle aimait d’un amour fou le vent sauvage qui giflait le visage et l’appelait sans cesse à la fougue, au meilleur d’elle-même.

- Il fait à ce point silencieux, murmura-t-elle d’un ton étrange, qu’on n’ose même pas respirer, qu’on n’ose même pas vivre. C’est trop immense, trop large, trop démesuré… Je t’en prie, il nous faut redescendre, revenir à la vie. Personne ne sait où nous sommes, les sentiers eux-mêmes l’ont oublié… L’homme la regarda soudain et ne la reconnut pas. La femme répondit à son regard et vit à ses côtés un étranger qu’elle ne connaissait pas. La neige implacable, l’infini blanc et vallonné de ces lieux perdus, le souffle irréel du vent dans les hauteurs, les rochers d’encre du monde d’en face, les avaient en un instant, séparés pour toujours. Même l’effort timide et lumineux du soleil levant fut vain. Leur amour s’enterra d’un seul coup dans ce tombeau immaculé.

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